De nouvelles clés de lecture pour se réconcilier avec la Génération Y
Entrevue avec Crystal Kadakia, conférencière, auteure, leader d’opinion et consultante.
Le rapport « Workplace Trends » 2017 de Sodexo vient de paraître et met en évidence neuf grandes tendances qui vont structurer notre environnement de travail aujourd’hui et dans les années à venir. Nous avons rencontré Crystal Kadakia, conférencière, auteur, leader d’opinion et consultante, qui nous parle de la génération Y dans son rapport au travail.
Quel a été le déclencheur qui vous a fait écrire The Millennial Myth : Transforming Misunderstanding into Workplace Breakthroughs? (Le Mythe de la Génération Y : transformer des idées fausses en moteurs de changement au travail).
Crystal Kadakia : il y a à peu près cinq ans, j’ai commencé à entendre beaucoup parler de la génération Y. Je travaillais alors dans une grande entreprise du Fortune 100, où je concevais des formations destinées aux nouvelles recrues au niveau mondial. Je me rappelle m’être dit que les préjugés qui circulaient ne cadraient pas avec ma propre expérience du monde du travail. Appartenant moi-même à la génération Y, je me suis prise d’intérêt pour la question, j’ai commencé à faire des recherches et de fil en aiguille, j’ai créé ma propre entreprise, Invati Consulting. Nous étudions les tendances et stéréotypes de la génération Y et observons les zones d’interaction avec la culture de l’entreprise. C’est un sujet qui interpelle parce que les questions générationnelles déroutent beaucoup de monde. C’est aussi un sujet très clivant, beaucoup de personnes ayant l’impression qu’il est impossible de travailler « avec les jeunes d’aujourd’hui ».
Pour moi, il doit y avoir une autre voie pour penser la génération Y, en marge des clichés habituels qu’égrènent les médias, par exemple lorsqu’ils citent les « dix raisons de détester travailler avec la génération Y ». En cherchant à informer sur ces questions, j’ai eu l’idée d’écrire The Millennial Myth. L’ouvrage revisite cinq préjugés les plus courants auxquels il applique une nouvelle clé de lecture.
Pouvez-vous donner un exemple de « mythe » ?
C.K. : Un préjugé qui a la vie dure sur la génération Y, dont je parle dans mon livre, est sa prétendue paresse. Les « Y » ne sont pas paresseux, ils ont simplement une définition nouvelle de la productivité. Il faut bien voir que lorsque les 20-30 ans étaient étudiants, ils ont réussi en s’appropriant les outils numériques : ils ont appris à travailler aux heures et dans les lieux où leur productivité était la meilleure. Ils ont inventé leurs propres outils de productivité. Et lorsqu’ils sont entrés dans le monde du travail, il y avait chez eux une aspiration très forte à conserver ces outils de productivité personnelle, plutôt que suivre un mode opératoire fixé par quelqu’un d’autre. C’est vraiment là que la question du télétravail, des horaires à la carte et de l’équilibre vie privée/travail prend tout son sens. Selon la clé de lecture traditionnelle, cela passe pour de la paresse et de la mauvaise volonté. Mais selon la clé de lecture moderne, c’est ainsi que l’on est productif à l’ère du numérique.
Le numérique semble avoir façonné la Génération Y de bien des façons. Est-ce votre point de vue ?
C.K. : L’avènement du numérique est l’une des grandes particularités de la génération Y. Les Y sont la dernière génération à avoir connu le monde avant l’Internet. On saisit mieux le caractère de la génération Y, ainsi que ses aspirations professionnelles, quand on regarde l’impact qu’a eu a posteriori l’Internet pendant leur enfance ou leur adolescence. Le numérique a engendré la mondialisation et transformé nos façons de travailler à tous. La génération Y est une génération charnière car elle permet d’étudier ce qu’était le monde avant l’internet et ce qu’il est devenu depuis. Mais la plupart des gens ne s’en rendent pas compte, trop aveuglés qu’ils sont par leur conception biaisée et stéréotypée des « Y ».
D’une manière générale, comment pensez-vous que la génération Y ait transformé le monde du travail ?
C.K. : Je pense que le monde de l’entreprise reste tellement dominé par la génération du Baby-boom que beaucoup de transformations et tendances ne sont encore que latentes. Nous ne verrons si elles se concrétisent que lorsque la génération Z entrera à son tour en scène et que les Baby-boomers partiront plus massivement à la retraite. Il y a aussi une perception extrêmement négative des « Y » et tant que nous n’aurons pas tordu le cou aux clichés, nous ne pourrons pas opérer les transformations qui s’imposent. Nous devons prendre du recul et faire tomber les préjugés. C’est vraiment ce à quoi tendent à la fois mon travail et mon livre car c’est le point de départ de tout le reste : nous devons faire cesser les malentendus pour rendre possibles des changements effectifs et modernes dans le monde du travail.
Que fait entrevoir l’arrivée de la Génération Z sur le marché du travail ? Cette génération va-t-elle renforcer les tendances amorcées avec la génération Y ?
C.K. : Actuellement, 30 % de la génération Y occupe déjà des postes d’encadrement. C’est amusant, parce qu’à mesure que les « Y » gravissent les échelons, certains des traits qui agaçaient les générations précédentes commencent à les agacer eux aussi. Au téléphone, certains cadres de la génération Y le disent : « c’était bien gentil quand je n’encadrais personne, mais maintenant que je suis aux commandes, je m’en mords les doigts ».
Dans le même temps, en termes organisationnels, nous n’avons pas encore déterminé comment moderniser la culture de l’entreprise sur la base des nouveaux comportements numériques. Tant que ce sera le statu quo, la Génération Z nourrira les mêmes aspirations et souffrira du même manque de motivation et de fidélité.
Auriez-vous des conseils à donner aux employeurs pour bien encadrer un personnel multigénérationnel ?
C.K. : Le monde de l’entreprise est plein de contradictions. D’un côté, les dirigeants veulent attirer et fidéliser les plus talentueux représentants de la génération Y ; de l’autre, beaucoup mettent tous les « Y » dans le même sac et les taxent de paresseux se croyant tout permis. Mais aucun « Y » ne veut travailler pour une entreprise qui le traite de tire-au-flanc et d’arrogant. Je conseillerai donc de lever cette contradiction et de veiller à être transparent quant aux objectifs de modernisation de l’entreprise, pas seulement pour la génération Y mais pour quiconque travaille avec les outils numériques. Je suis convaincue qu’on ne peut pas à la fois nourrir un préjugé et en tirer quelque chose de positif. Il y a une contradiction foncière. Tant qu’on n’aura pas tordu le cou à ces idées, on ne pourra faire avancer le dialogue sur les tendances à l’œuvre dans l’entreprise.
The Millennial Myth est disponible en prévente ou pour en savoir plus, rendez-vous sur themillennialmyth.com