Maximiser les bienfaits des migrations
Entrevue avec Jean-Christophe Dumont, Ph.D., Chef de la division des migrations internationales à la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE.
Le rapport « Workplace Trends » 2017 de Sodexo vient de paraître et met en évidence dix grandes tendances qui vont structurer notre environnement de travail aujourd’hui et dans les années à venir. Jean-Christophe Dumont Ph. D., Chef de la division des migrations internationales à la Direction de l’emploi, du travail et des affaires sociales de l’OCDE, nous parle du rôle que jouent les entreprises dans l’intégration et la valorisation des travailleurs migrants.
Quel est votre point de vue sur les migrations ?
Jean-Christophe Dumont : Les migrations font partie de nos vies, et ce durablement. Certains migrants partent à la suite d’une promotion, d’autres pour fuir la guerre, certains s’installent à titre provisoire, d’autres définitif. Et beaucoup ont des arrières-arrières-grands-parents qui ont fait le voyage en leur temps. Quelles que soient les dynamiques, les mouvements migratoires peuvent profiter à tous s’ils sont bien gérés. On assiste actuellement aux déplacements de population les plus massifs, à un niveau de détresse humanitaire inédit depuis la Seconde guerre. Il nous appartient à tous de nous mobiliser pour une intégration réussie des migrants.
Pouvez-vous nous donner quelques pistes pour atteindre cet objectif ?
J.C.D. : Il n’y a pas de secret, les politiques publiques sont au cœur du débat sur les migrations. Mais les entreprises ont aussi un rôle essentiel à jouer dans cet effort d’intégration. C’est par le travail que les personnes mobilisent et développent leurs compétences et qu’elles gagnent de quoi subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs proches. L’insertion sur le marché du travail est un facteur clé d’intégration des migrants dans la société dans son ensemble. Il est essentiel que les migrants fraîchement arrivés fassent l’effort d’apprendre la langue du pays d’accueil, mais aussi qu’ils soient encouragés dans cette démarche ; le lieu de travail est idéal à cet égard. Il est également important d’évaluer les compétences techniques et informelles des migrants, afin d’identifier les opportunités d’emplois ou les compléments de formation dont ils ont besoin.
Auriez-vous des exemples montrant de quelles façons les entreprises peuvent participer à l’effort ?
J.C.D. : Il est nécessaire de réussir l’intégration des migrants et de leurs enfants et de développer l’efficacité des mécanismes de gestion de la main-d’œuvre migrante pour renforcer la cohésion sociale autant que pour préserver voire améliorer la compétitivité économique. Cet objectif ne saurait être atteint sans un dialogue plus nourri avec les employeurs qui prennent au quotidien les décisions de recrutement. Ce dialogue peut permettre d’identifier les pénuries de compétences, de façon à affiner les politiques publiques destinées à mieux employer les compétences des migrants. Néanmoins, il ne doit pas se réduire à un plaidoyer sur les bienfaits économiques des migrations mais doit être articulé aux initiatives de responsabilité sociale des entreprises, pour convaincre le public que les migrations de main-d’œuvre sont aussi dans l’intérêt la population locale.
Dans le contexte de la crise des réfugiés, l’OCDE et le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR) ont cherché à mieux comprendre quels freins s’opposaient au recrutement de réfugiés et demandeurs d’asile par les entreprises. Ce travail a mis en lumière plusieurs problèmes liés aux difficultés d’accès à l’offre de main-d’œuvre, aux déficits d’informations pénalisant aussi bien les employeurs que les réfugiés, mais également à la transférabilité internationale des compétences et à la transférabilité des qualifications.
Les entreprises se disputent âprement certaines compétences et on recense des pénuries dans les pays d’accueil. Dans quelle mesure les migrations peuvent-elles y remédier ?
J.C.D. : Plus de 35 millions de migrants diplômés de l’enseignement supérieur sont présents dans l’OCDE, soit une hausse inédite de 70 % au cours des 10 dernières années. Plus de 25 millions d’entre eux sont en âge de travailler. Mais malgré leur bagage professionnel, nos marchés du travail ne mobilisent malheureusement pas pleinement le potentiel des migrants. En Europe et aux États-Unis, un migrant sur trois ayant un diplôme du supérieur est surqualifié au regard du poste qu’il occupe. Un sur deux est inactif, sans emploi ou voit ses compétences sous-utilisées. Afin de plaider pour un meilleur accès aux compétences depuis l’étranger, il est important de mieux comprendre pourquoi les diplômes et l’expérience professionnelle acquis à l’étranger subissent une forte décote une fois transposés sur le marché du travail des pays d’accueil.
Cela suppose d’admettre que dans certains cas, il est nécessaire de renforcer les compétences déjà acquises plutôt que de faire table rase, au prétexte qu’elles ne coïncident pas parfaitement avec les besoins. Un mécanicien formé dans un pays de moindre développement peut par exemple exceller dans son travail mais avoir besoin d’une mise à niveau pour être capable de réparer une voiture intégrant beaucoup d’électronique. Même dans les professions les plus réglementées, comme la médecine et le droit, la transférabilité des savoirs et de l’expérience peut représenter un investissement long et coûteux, mais qui reste justifié. Les employeurs peuvent contribuer à améliorer l’offre globale de cours « passerelles » permettant ces mises à niveaux.
Comment résumeriez-vous les arguments en faveur d’une mobilisation des entreprises sur les questions migratoires ?
J.C.D. : Je dirais qu’une main-d’œuvre diverse, qualifiée, motivée et affichant des taux d’insertion élevés a plus de chances de savoir rebondir, s’adapter et être compétitive ; autant de facteurs bénéfiques pour les entreprises. Les entreprises qui déploient des efforts tangibles pour développer un sentiment d’appartenance au sein de leur personnel auront moins de difficultés à recruter dans les métiers en tension. Quelle que soit leur activité, les entreprises peuvent participer à l’effort, pour répondre aux espoirs et aspirations de certains, aux craintes et inquiétudes des autres.