Repenser la robotique : un champ des possibles infini
Entrevue avec Laurent Cousin, Senior Vice President Recherche et Développement chez Sodexo.
Le rapport « Workplace Trends » 2017 de Sodexo vient de paraître et met en évidence neuf grandes tendances qui vont structurer notre environnement de travail aujourd’hui et dans les années à venir. Nous avons rencontré Laurent Cousin, Senior Vice President Recherche et Développement chez Sodexo, qui nous parle de robotique et des transformations qu’elle pourrait amener dans la façon de travailler de Sodexo.
Pourriez-vous dresser un petit état des lieux de la robotique aujourd’hui ?
Laurent Cousin : Sodexo a mené des recherches poussées pour définir le terme de « robot » et tout ce qu’il recouvre. Quelques distinctions s’imposent tout d’abord pour y voir plus clair. Dans notre optique, nous distinguons quatre catégories de robots. Tout d’abord, les robots utilisés à des fins d’observation, qui mesurent, enregistrent et transmettent des données diverses. Ensuite, les robots qu’on trouve typiquement en milieu industriel, qui exécutent des opérations de transformation et de manipulation. La troisième catégorie regroupe les robots de service qui exécutent des tâches comme passer l’aspirateur, tondre l’herbe etc. Enfin, on trouve les robots qui n’accomplissent pas d’opérations physiques mais interagissent et communiquent : à travers la reconnaissance vocale, la reconnaissance faciale ou une interaction directe avec les utilisateurs finaux. Bien sûr, ces différentes catégories ne sont pas étanches et nombreux sont les robots ou solutions robotisées qui relèvent de plus d’une catégorie.
Nous avons également identifié trois générations de robots : les répétitifs, les réactifs et les adaptatifs. La première génération, celle des robots répétitifs, sait reproduire ce qu’on lui a appris à faire. Les robots réactifs quant à eux enregistrent des données, reconnaissent des détails de leur environnement extérieur et adaptent leur comportement en conséquence. Leur réaction reste basée sur une série d’algorithmes prédéfinis, mais le robot prend une décision au regard des données collectées et réagit. La troisième génération, celle des robots adaptatifs, couvre un champ très vaste, ouvrant sur une mine de possibilités en matière d’intelligence artificielle : le robot est capable d’apprentissage par l’expérience et gagne en expertise.
Pouvez-vous nous expliquer l’optique de Sodexo ? Que fait le Groupe en la matière ?
L.C. : Plusieurs grandes raisons expliquent notre intérêt pour la robotique. Les robots peuvent améliorer la productivité, la qualité et la régularité du service et de l’exécution de la prestation. Ils sont aussi un facteur de sécurité et de sûreté, dans la mesure où ils prennent en charge des tâches dangereuses pour les vies humaines. Enfin, les robots permettent de développer notre offre de plusieurs façons : hausse de nos ventes en volume ou en valeur, développement des métiers, produits ou services existants ou encore émergence d’une offre complètement inédite, d’un service nouveau, inimaginable sans l’auxiliaire du robot.
Quelles sont les vraies craintes liées à l’introduction de la robotique au travail ?
L.C. : Si l’on songe ici aux robots de première et deuxième générations, qui accomplissent des tâches répétitives ou réactives, je perçois clairement un risque de déshumanisation. Par exemple, un humain qui réalise une prestation est capable de jauger la satisfaction de son client et d’adapter son comportement en conséquence. À l’heure actuelle, peu de robots peuvent en faire autant, même si la reconnaissance faciale accomplit déjà des progrès… On court donc le risque de perdre cette dimension d’humanité, qui est très importante : l’attention portée aux autres, la capacité à personnaliser, à spécialiser la prestation et à apporter un petit supplément d’âme aux services accomplis.
Ceci étant dit, si nous considérons plutôt la troisième génération de robots, celle des robots adaptatifs, doués d’« intelligence », il devient possible d’imaginer des situations préservant ce facteur « humain ». Ce dernier est au cœur de ce qui en définitive fonde la qualité de vie, qui ne découle pas tant de la seule excellence du service rendu. Nous devons donc être très vigilants sur ce point : si la robotisation entraîne la perte du facteur humain et de l’attention portée aux êtres, alors c’est un prix que nous ne sommes pas prêts à payer.
Les médias passent souvent d’un extrême à l’autre à propos de la robotique, révolutionnaire par ses promesses d’innovation ou destructrice par ses effets sur l’emploi. Qu’en dites-vous ?
L.C. : Plusieurs études économiques cherchent à quantifier le nombre d’emplois que remettrait en cause la robotique. Je peux comprendre l’inquiétude que cela suscite. Mais ce ne sont pas tous les emplois de tous les secteurs qui seront touchés et même les métiers les plus touchés ne disparaîtront pas complètement. S’affranchir des métiers dangereux et pénibles va dans le sens de l’histoire et du progrès. Si certains métiers comportent des aspects pénibles, répétitifs ou singulièrement dénués de valeur ajoutée, c’est une avancée que de les déléguer à un robot. Mais il ne faut pas être naïf : une telle transition ne saurait avoir lieu sans un programme de formations et sans la conception de services adaptés, qui soient accompagnés et mis en œuvre de façon raisonnée.
Raisonnée, la robotique peut permettre de s’affranchir de tâches pénibles et dangereuses, d’abaisser le niveau de risque pour l’homme et de faire émerger des opportunités de reconversion des opérateurs vers des tâches et modes d’interaction plus valorisants. Nous n’entendons pas seulement capter des gains de productivité, nous savons que cette stratégie est extrêmement porteuse : maintenir le cap sur la qualité de vie de nos collaborateurs, de nos usagers et de l’ensemble de nos parties prenantes ne peut qu’être positif pour Sodexo dans son ensemble.